Un portefeuille gonflé de pièces trouve-t-il encore sa place dans la poche d’un adolescent connecté ? À l’ère où l’on paye d’un geste sur écran, l’argent liquide intrigue, déroute, résiste. Son parfum d’autrefois persiste dans les allées des marchés, tandis qu’ailleurs, un QR code remplace la poignée de main. Derrière ces petits gestes anodins, une tension sourde : la monnaie sonnante fait de la résistance, entre attachement viscéral et soupçon envers le tout-numérique.
Qui, des jeunes branchés sur le paiement mobile ou des seniors fidèles à la monnaie, fait encore tinter la caisse en espèces ? Le porte-monnaie se transforme tour à tour en rempart contre la surveillance, en instrument de maîtrise, parfois même en symbole d’un refus discret du monde dématérialisé. Chaque passage en caisse devient révélateur d’un rapport singulier à la confiance et à la liberté, bien loin des clichés générationnels.
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Plan de l'article
Qui privilégie encore l’argent liquide en 2024 ?
En 2024, la France oppose ses paradoxes. La carte bancaire règne sans partage dans les grandes villes, mais l’argent liquide n’a pas dit son dernier mot. Près de 59 % des paiements de proximité se font encore en espèces, indique la Banque de France. Un chiffre à contre-courant de l’engouement pour les applis de paiement et autres portefeuilles numériques.
Les baby boomers et les seniors continuent de préférer le cash, souvent par fidélité aux habitudes, parfois par méfiance envers des outils jugés trop abstraits. Le billet froissé règne sur les petits achats : au marché, chez le boucher, entre voisins pour une course rendue. À l’inverse, les moins de trente ans, le smartphone greffé à la main, optent presque systématiquement pour la carte bancaire ou une solution digitale dès qu’il s’agit de régler l’addition.
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- Chez les plus de 65 ans, plus de 70 % sortent encore l’argent liquide chaque semaine.
- En dessous de 30 ans, à peine 35 % l’utilisent avec cette régularité – la majorité misant tout sur les paiements numériques.
Le décor géographique et social pèse aussi dans la balance. Dans certains villages, la raréfaction des distributeurs transforme l’argent liquide en totem de résistance face à la désertification bancaire. Parfois, sortir un billet, c’est affirmer son autonomie ou protéger sa vie privée face à l’appétit des technologies. Même si le paysage change, le paiement en espèces garde cette aura de liberté non négociable pour une frange de la population.
L’attachement à l’argent liquide ne relève pas du simple réflexe. Il s’ancre dans l’âge, dans l’histoire de chacun, dans les conditions sociales et l’accès à la banque. Les récentes enquêtes de la banque centrale européenne et de l’université de Saint-Gall tracent une frontière nette entre générations. Les jeunes, baignés depuis l’enfance dans les nouvelles technologies et les services bancaires en ligne, s’éloignent du cash, jugé trop lent, trop matériel, presque encombrant. À l’opposé, les aînés l’associent à la gestion concrète du budget, à l’argent de poche d’antan, à la confidentialité des échanges.
La crise sanitaire avait laissé croire à une disparition accélérée des espèces. Mais sur le terrain, la réalité nuance ce récit : nombre de Français, en zone rurale ou dans des quartiers populaires, tiennent au liquide, par habitude ou nécessité.
- 13 % de la population française disent ne pas être à l’aise avec les paiements numériques, faute de confiance ou de maîtrise des outils.
- L’idée d’un monde sans argent liquide inquiète, tant la confidentialité et la peur d’un contrôle accru par les institutions restent vives.
Au fond, le contexte social pèse tout autant que l’âge. Entre fracture numérique, défiance vis-à-vis des banques et accès parfois compliqué aux services financiers, le cash garde ses bastions. La mosaïque des pratiques révèle une France qui hésite entre passé tangible et avenir dématérialisé, sans choisir franchement son camp.
Pourquoi certaines générations restent attachées aux espèces ?
Le rapport à l’argent liquide n’est pas qu’une affaire de portefeuille, c’est d’abord une question de vécu et d’époque. Les baby-boomers et la génération X ont grandi avec le billet comme symbole de transaction réelle, loin des interfaces virtuelles et des notifications de paiements.
Leur préférence s’explique par trois ressorts majeurs :
- Autonomie : payer en espèces, c’est s’affranchir du réseau, de la panne ou de l’intermédiaire bancaire.
- Maîtrise du budget : compter ses pièces, c’est visualiser ce que l’on dépense, ressentir le poids de chaque achat.
- Confidentialité : le liquide ne laisse aucune empreinte numérique. Un argument décisif pour 42 % des seniors, selon la dernière enquête de la banque centrale européenne.
Ce rapport viscéral, forgé au fil d’une vie où le billet de banque rythmait la semaine, s’oppose frontalement à la dématérialisation. Les plus de 60 ans privilégient toujours le cash pour les achats quotidiens : primeur, tabac, petit service rendu. La confiance envers le numérique reste fragile, surtout face à la peur de l’arnaque ou d’un bug bancaire.
La marche forcée vers le tout-digital laisse donc nombre de seniors sur le pas de la porte. Pour eux, la monnaie tangible demeure le dernier rempart, le garant d’une indépendance qui ne se négocie pas.
Vers un monde sans liquide : mythe ou réalité pour les jeunes et les seniors ?
Les paiements numériques gagnent du terrain à une vitesse inédite. En 2023, presque 80 % des moins de 30 ans déclaraient préférer la carte bancaire, les applications de transfert ou le paiement mobile. Le succès du paiement sans contact, dopé par la pandémie, accélère la tendance : pour la nouvelle génération, le cash devient l’exception, réservé à un achat au marché, un pourboire, ou à une transaction entre amis.
Pourtant, l’écart avec les seniors reste marqué. Les chiffres du Swiss Payment Monitor sont éloquents : 53 % des plus de 60 ans en France et en Suisse utilisent encore le cash chaque semaine, contre seulement 19 % des 18-29 ans. Cette fracture s’enracine dans la confiance – ou la méfiance – envers les banques en ligne et les innovations biométriques (empreinte, reconnaissance faciale).
- Jeunes : partisans du paiement mobile, séduits par la rapidité et la simplicité connectée.
- Seniors : rassurés par la sécurité du liquide, préoccupés par la disparition progressive du cash.
Les institutions, comme la banque centrale européenne ou la banque nationale suisse, surveillent cette bascule. Impossible d’imaginer, à court terme, une disparition totale de l’argent liquide. Trop d’enjeux de confidentialité et d’accessibilité persistent dans le débat. L’avenir du cash se joue à la croisée des chemins : avancées technologiques, choix collectifs, et réflexes culturels. À chaque génération, son tempo, ses résistances, ses convictions. La pièce dans la main ou le smartphone à la caisse : chacun sa partition, pour un ballet monétaire loin d’être achevé.